Le parc du château d’Acquigny

Situé au confluent de l’Eure et de l’Iton, à une lieue de Louviers, dans un site exceptionnel et classé, le château d’Acquigny jouit d’une belle notoriété grâce à son superbe parc et ses jardins remarquables développés au fil de l’eau.  

En franchissant l’élégante grille du domaine, le visiteur est invité à faire une balade pittoresque offrant de merveilleuses anecdotes historiques, de passionnantes découvertes botaniques et d’agréables impressions sensorielles grâce au murmure de l’eau, au bruissement du vent dans les arbres, au chant des oiseaux, aux parfums délicats des végétaux et à la beauté du parc. En cheminant le long des allées sinueuses, il apprend à connaître chaque arbre par son nom, par son origine parfois lointaine, par son histoire souvent ancienne. L’âme du lieu se révèle peu à peu…

En effet, si le château renaissance est né de l’amour éternel unissant Anne de Montmorency-Laval et son époux, Louis de Silly, le parc résulte de la passion indéfectible des propriétaires successifs pour la nature, l’eau et les arbres. Aussi les bâtiments et leur écrin de verdure sont-ils parfaitement intégrés dans le paysage environnant qui leur fait écho.

Le jardin du XVIème siècle a malheureusement disparu mais on peut imaginer fontaines et topiaires dressées au pied de la demeure historique attribuée à Philibert Delorme.

Au XVIIème, le domaine d’Acquigny est acheté par Claude Le Roux, aïeul de l’actuel propriétaire, et dont l’épouse, Madeleine de Tournebu, apporte la baronnie d’Esneval dans la famille.

Au XVIIIème, les descendants de Claude Le Roux dessinent sur quarante hectares un parc à la française, centré sur l’axe de symétrie du château. Ils créent un réseau hydraulique de canaux rectilignes entourant le potager-verger. Ces travaux utilisent la configuration du relief et les ouvrages des siècles précédents qui avaient détourné l’eau de l’Iton par un canal, soit creusé, soit construit, selon le dénivelé entre les deux rivières à proximité de leur confluence. C’est pour cette raison que la partie supérieure de l’Iton est surnommée “l’Iton perché”.

A partir de 1741, le parc ordonné à la française, symbole de puissance et d’autorité, est restauré par Monsieur d’Acquigny[1] qui y introduit des espèces venant d’Extrême-Orient ou d’Amérique du Nord.

Il restaure les hauts murs en briques entourés par le réseau des canaux rectilignes. En 1746, il fait édifier une superbe orangerie abritant une collection d’agrumes dont la tradition perdure de nos jours.  

Aujourd’hui, il ne subsiste plus du parc à la française que le grand miroir d’eau et la perspective historique de l’allée centrale surveillant l’Eure. Par contre le potager et l’orangerie restent des étapes essentielles, appréciées du public. Des arbres plantés alors existent encore: des platanes hybrides et d’Orient (1750), ainsi que les sophoras plantés en 1768.

A la veille de la Révolution, Esprit Le Roux d’Esneval[2], homme des Lumières, féru de botanique et nourri des principes esthétiques et philosophiques de son temps, fait redessiner le parc pour le paysager à l’anglaise. Il imagine les éléments majeurs du parc préromantique subsistant encore aujourd’hui.

Il complète le réseau des canaux rectilignes par une rivière serpentine où se reflètent le château et les grands arbres.

Il construit un pont de rocaille à deux arches, enjambant la cascade de la rivière artificielle.

Il imagine le chemin de roches permettant de traverser à gué la rivière en sautant de pierre en pierre.

Il conçoit un système hydraulique complexe pour amplifier le dénivelé naturel. Il plante des arbres encore visibles de nos jours : cyprès de Louisiane, Platanus hispanica, pins noirs d’Autriche…

Ces plantations seront poursuivies par Ange-Robert Le Roux d’Esnevalau début du XIXème siècle.

Ainsi, au sein des seize hectares actuellement ouverts au public, le promeneur est transporté dans une nature sauvage et pittoresque. Il suit le cours d’eau bondissant puis se détend au bord des eaux calmes et emprunte les allées sinueuses qui l’invitent à découvrir les arbres exceptionnels de l’ensemble arboré remarquable, labellisé comme tel en 2014 par l’association A.R.B.R.E.S. Parmi eux :

Deux Tilia platyphyllos dont les fleurs parfumées attirent les abeilles. 

Au bord du grand miroir, un platane orientalis et un platane à feuilles d’érable plongent leurs profondes racines dans l’eau du bassin.

Non loin de là, deux vénérables Sophora japonica témoignent de la passion botanique du XVIIIe siècle : le sophora fut introduit en Europe par le père Pierre d’Incarville, originaire du village d’Incarville, proche de Louviers. Missionnaire à Pékin entre 1742 et 1757, il envoya des graines à Jussieu qui en donna des plants en 1747 au jardin des plantes de Paris et en 1768 à Monsieur d’Acquigny.

Deux cyprès chauves de Louisiane bien ancrés dans les berges humides de l’Eure grâce à d’étonnants pneumatophores, prouvent la remarquable faculté d’adaptation des arbres. Ces cyprès auraient été plantés en 1780.


Les immenses platanes hybrides de type acerifolia ou hispanica seraient de 1785 environ. Le plus haut (47 m) était considéré en 2002 comme le plus haut d’Europe. Un autre, à pied d’éléphant, est très surprenant.

Au XIXème, les Le Roux d’Esneval plantent des arbres magnifiques. Ainsi on admire :

Un pin noir planté avant 1830, mesurant 29 m de haut.
Un marronnier d’Inde planté en 1870, de 37 m de haut.
Deux Sequoiadendron giganteum plantés probablement vers 1860.
Des hêtres pourpres, très prisés au XIXème.

Au XXe siècle, après les détériorations causées par la seconde Guerre mondiale, le parc a peu à peu retrouvé sa beauté grâce à Agnès et Bertrand d’Esneval, qui ne cessent de l’embellir.

Le domaine est labellisé Jardin remarquable. Les plantations récentes complètent l’arboretum avec des espèces de diverses régions du monde :

Un Ginkgo biloba, arbres aux quarante écus, dont le feuillage doré égaie le parc en automne.

Deux métaséquoias de Chine, conifères au feuillage caduc, dont le feuillage vert brillant prend une belle couleur cuivrée à l’automne. Jusqu’en 1941, les scientifiques pensaient l’espèce éteinte depuis 100 millions d’années.

Un arbre aux mouchoirs (Davidia involucrata), berçant au gré du vent ses délicates fleurs blanches, telles de fins mouchoirs.

Un tilleul de Hollande à feuilles laciniées. Espèce rare à croissance plus lente que l’espèce type, aux feuilles très découpées. Il forme une large couronne pyramidale et possède un tronc de couleur gris clair sur lequel des cannelures apparaissent par la suite.

Des copalmes d’Amérique (Liquidambar) appréciés pour leur feuillage rougeoyant en automne

Un sapin d’Espagne (Abies pinsapo d’Andalousie).
Un pin des bouddhistes, Podocarpus macrophilla.
Deux Sequoia sempervirens : ils peuvent atteindre 120m en Californie.
Quatre cèdres dorés de l’Himalaya, arbre des dieux dans leur pays d’origine.
Des tulipiers de Virginie.

Deux chênes liège, trois chênes vert (ou yeuses), trois pins parasols, un cormier, trois micocouliers, des eucalyptus, des chitalpas (obtenus récemment par l’académie de Tashkent en Asie centrale par croisement entre un catalpa chinois et un chilopsis américain dans les années 1970).

Un orme du Japon à feuillage panaché (Zelkova), petit arbre magnifique et peu courant.
Un mimosa de Constantinople ou Albizia.
Un pin Wollemi, découvert en Australie en 1994.

Quittant la fraîcheur du sous-bois, le promeneur se dirige ensuite vers le potager-verger du domaine qui lui réserve de belles surprises (un article du n°34 de cette publication lui a été consacré, p31-32).

Ce potager, dans lequel on faisait encore les foins en 1995, a bénéficié, après la tempête de 1999, d’une restauration exemplaire des murs en briques et de leur couverture en ardoises cloutées. Puis la remise en état s’est poursuivie par la reconquête des berges des canaux périphériques grâce à des techniques traditionnelles:  palissades en pieux de châtaignier, tressage de saules.

Dès que le visiteur pénètre dans cet espace clos, il est frappé par la luminosité du potager et la douceur de son microclimat. Paradis du jardinier, l’espace présente une grande variété de plantes vernaculaires ou exotiques, comestibles, condimentaires, médicinales ou décoratives voire simplement surprenantes. Les longues plates-bandes y sont organisées pour que les plantes voisines, parfaitement étiquetées, soient en symbiose.

Une vingtaine de variétés de tomates poussent dans les plates-bandes de fleurs et de légumes. Une collection de cucurbitacées étonne ou amuse les visiteurs qui observent la citrouille géante atlantique, les concombres du Mexique (Melothria) à confire, et les concombres sauteurs (ou concombres d’âne), non comestibles pour l’homme. Des légumes oubliés: poire de terre, chervis, hélianthe, châtaigne de terre, capucine tubéreuse, topinambour patate, artichaud de Jérusalem, dahlias comestibles…

L’une des planches les plus visitées est celle des plantes médicinales, organisée selon les maladies qu’elles soignent. Les plantes condimentaires sont également fort prisées. Quelques rondelles de séquoia permettent d’approcher prudemment les plants et leur étiquetage.

Le microclimat du potager est propice à la culture en pleine terre des pêchers, brugnoniers, figuiers, goyaviers du Brésil, kiwanos. Il abrite aussi des haies de petits fruits : aronia, amélanchier.

A l’extérieur de l’enceinte se trouvent des fruitiers résistants: mûres, kiwis, framboises.

L’un des trésors de ce potager-verger est le grand poirier palissé à trente branches parfaitement équilibrées. Greffé sur un poirier franc contrairement aux autres poiriers de variétés anciennes du potager, greffés sur des cognassiers, il a une envergure de 12 mètres, une circonférence de 1,06 mètre et il aurait plus de 200 ans. Il donne encore des fruits savoureux. La variété de ce poirier était restée mystérieuse jusqu’au jour où un visiteur travaillant à l’INRA a suggéré à Agnès d’Esneval d’effectuer des recherches ADN: il s’agit d’un poirier des urbanistes, créé à Malines en Belgique en 1783. Il a été labellisé “Arbre Remarquable” en juin 2014.

Dans ce petit paradis d’un hectare, Adrien Boullier, jardinier du château d’Acquigny peut exercer son art. Très apprécié, il a reçu en 2010 le prix du jardinier de notre association.

La dernière étape du parc et des jardins du château d’Acquigny conduit le visiteur à l’orangerie, restaurée en 2000 pour y abriter une nouvelle collection d’agrumes car celle du XVIIIe siècle avait disparu pendant l’hiver très rigoureux de 1917 où l’orangerie ne put être chauffée.

Dans le secteur très abrité par les murs de l’orangerie et de l’ermitage et protégé par l’église Sainte-Cécile, sont cultivés en pleine terre : jasmin officinal, grenadier, passiflore, frémontia à fleurs jaunes, lavande, vigne et cyprès de l’Arizona. À la belle saison, les pots des agrumes sont sortis le long de la façade de l’orangerie. Cette collection comprend des citronniers (caviar, quatre saisons, vert, Tahiti, panaché) orangers, mandariniers, clémentiniers, cédrats, mains de Bouddha, calamondins, calamondin à feuilles de myrte, bigaradiers, bergamotier, pamplemousse, pomelo, kumquat, combawa et des agrumes en pleine terre : yusu, poncirus, clémentinier satsuma …dont la fructification coordonnée enchante le visiteur tant par la vue que par le parfum des fleurs et des fruits.

Ainsi, au fur et à mesure de la visite, nous admirons l’admirable restauration effectuée par Agnès et Bertrand d’Esneval qui ont su redonner vie au domaine tout en respectant la conception et l’esprit des jardins romantiques.

Texte: Edith de Feuardent. Photos: Jean-Louis Aubert

Le château d’Acquigny, 1 rue Aristide Briand, 27400 Acquigny, www.acquigny.com, est très largement ouvert au public.


[1] Pierre-Robert Le Roux d’Esneval, 1716 – 1788.  Président à Mortier au Parlement de Rouen. D’une grande piété, il rebâtit l’église Sainte-Cécile d’Acquigny. (1755 – 1783) Son nom est attaché à de nombreuses églises de l’Eure et en Seine maritime qu’il a fait construire (une dizaine), restaurer ou décorer.

[2] Esprit Le Roux d’Esneval, 21 mai 1747 – 3 août 1791, fils aîné de Monsieur d’Acquigny, Président à Mortier au Parlement de Rouen.