Une tempête a failli entrainer la vente du Manoir de Villers : Robert Mery de Bellegarde venait d’hériter du manoir et s’y était installé depuis un an, à l’âge de la retraite, lorsqu’une tornade, le 25 mars, 1988, causa la chute de 138 tilleuls et d’une trentaine de très beaux arbres. Les bâtiments eux aussi avaient tellement souffert que Robert et son épouse Anne-Marie se sont demandés s’il était sage de conserver cette propriété.
La plus ancienne mention du manoir trouvée dans les archives familiales est la date de 1581; une petite cave voûtée semble du XVème siècle, prouvant ainsi l’ancienneté du manoir primitif situé à Saint Pierre de Manneville.
Ce nom remonte à l’époque gallo-romaine, de même que celui de « Villers ».
Cette petite seigneurie fut acquise en1764 par Antoine Michel Blondel de Berthenonville, conseiller secrétaire du Roi au Parlement de Normandie, pour en faire sa maison des champs, son château de Berthenonville, situé dans l’Eure, étant trop éloigné de Rouen. N’ayant pas d’enfant, il légua ses biens aux enfants de sa sœur, veuve de Nicolas Mery.
Sur un plan de 1769, on reconnait la chapelle, qui existe toujours, et le cœur du manoir, agrandi au XIXème siècle dans le style néo-normand, par Robert Mery de Bellegarde, grand-père du propriétaire actuel.
Le parc du XVIIIème siècle comprenait d’importants quinconces de tilleuls, et des ensembles de marroniers plantés selon une trame régulière. Vers 1900, des arbres d’ornement, d’essences variées, selon les critères de cette époque, ont été plantés librement, dans un esprit beaucoup plus libre.
La seconde guerre mondiale a bouleversé la propriété, occupée par les Allemands. Les parterres et les allées sont abandonnées et le parc est transformé en exploitation agricole.
Après la guerre, le manoir de Villers devient une maison de vacances, et la nature reprend ses droits sur une bonne partie des quatre hectares du parc. Les arbres se développent librement, si bien que les charmilles et les haies souffrent du manque de lumière.Les pelouses sont reconverties en herbages sur les deux tiers de leur surface.
Après la tempète de 1988, l’Association des parcs et jardins de Haute-Normandie a financé, avec l’aide de la Région Haute-Normandie, une étude visant à la restauration du parc. Cette étude a été réalisée en 1990 par l’architecte-paysagiste Clotilde Duvoux.
Les vœux des propriétaires étaient de respecter les structures, de souligner les perspectives, de conserver les boulingrins, de simplifier les plantations et d’éviter le superflu, afin de maintenir les charges d’entretien à un niveau raisonnable.
Face au manoir, une haie d’ifs avait été plantée par le grand-père de Robert de Bellegarde pour isoler la propriété des bâtiment de la ferme attenante. Les ifs ayant cessé d’être taillés, ils étaient devenus de grands arbres, qui obsurcissaient complètement cet endroit situé juste au Sud du manoir. Ils faisaient disparaitre les traces du théâtre de verdure qui existait, avec une forme bien lisible sur le plan de 1769.
Il a été décidé de restaurer ce théâtre. Cela a exigé bien du courage, pour rabattre ces ifs à la hauteur voulue et couper complètement leurs branches, à même les troncs (Opération qu’il est conseillé d’étaler sur deux ans, pour qu’il y ait toujours une masse végétale vivante). Mais cela a été payant, et en quatre ans la forme ancienne a été retrouvée. De jeunes ifs ont été plantés là où il en manquait dans l’ancienne haie. Des plantes vivaces à la floraison blanche, ainsi que des petits cônes d’ifs habillent l’intérieur de cette enceinte.
pelouse qui ouvre une perspective en direction de la Seine, que l’on devine à l’Ouest. Le contraste entre la rigueur des formes géométriques et le caractère vaporeux des prairies crée des vues particulièrement attirantes. La taille des ifs a été prise en charge gratuitement pendant une année par une entreprise qui collectait les nouvelles pousses, d’où pouvaient être extrait le principe d’un médicament anti-cancéreux, le Taxotère.
Cependant, il est apparu que l’on ne pouvait espérer un travail suffisament précis pour les ifs d’un parc qui était ouvert au public.
Les boulingrins situés à proximité immédiate du manoir étaient encadrés par de très vieux tilleuls.
De longues repousses s’étaient formés à la hauteur des tailles anciennes et il en tombait chaque année. Des champignons entraient dans les plaies ainsi créées.
La encore, il a fallu prendre une décision drastique : abattre et désoucher tous les tilleuls, recreuser les boulingrins et replanter de jeunes tilleuls tout autour. Du lierre a été planté sur les talus.
Les jeux d’ombre et de lumière crént une atmosphère particulière, assez romantique. Vingt-cinq ans après, les tilleuls ont belle apparence et font démentir ceux qui disent que lorsqu’on plante des arbres, ce sont seulement les enfants ou les petits-enfants qui en profiteront…
Comme Robert et Anne-Marie de Bellegarde avaient décidé d’ouvrir au public leur propriété, ils ont souhaité disposer d’une partie intime, destinée à la famille.
Un Jardin Secret a donc été créé par Clotilde Duvoux.
Il est entouré de haies et planté de graminées, de géraniums vivaces, de rosiers, de fougères, d’asters, dans le but de rechercher en toute saison une ambiance propice à la rèverie et aux jeux d’enfants, avec table et bac à sable.
Une structure permanente est néanmoins assurée par des topiaires et des boules de buis diposées de façon régulière.
Comme il n’était plus envisageable d’entretenir le parc avec les moyens d’avant-guerre, il a fallu se simplifier la vie.
En particulier, une grande partie des prairies n’est fauchée que deux fois par an, par le fermier voisin.
Les limites entre herbe tondue et herbe haute ont été travaillées pour permettre des promenades agréables, le long de chemins bordés d’arbustes à fleurs, dans une atmosphère vaporeuse d’où émergent ici et là des cônes d’ifs en ombres chinoises.
En même temps que les travaux de restauration du parc, le Petit Chalet, construit au début du XIXème siècle au fond du parc, a été restauré. La paysagiste Mahaut de Laage a suggéré de creuser un étang irrégulier, entité sereine et lumineuse entre le chalet et les frondaisons du parc romantique.
Autour du chalet règne une ambiance intimiste.
Des arbustes parmi lesquels des variétés d’Hydrangea paniculata, quercifolia, de pivoines parfumées, et des vivaces choisies avec soin dans les couleurs à dominantes bleues, mauves, violettes et carminées.
Le chalet sert de cadre a des activités variées, telles que des expositions, des stages ou des concours de bouquets.
Texte : Benoît de Font-Réaulx
Photos : Benoît et Isabelle de Font-Réaulx
Le Manoir de Villers se trouve30 route de Sahurs, 76113 Saint-Pierre de Manneville, à quelques kilomètres à l’Ouest de Rouen. Le manoir et le parc sont ouverts au public.