Le Jardin retrouvé du château de Martainville

– Entretien avec Thierry Hay –

La seigneurie de Martainville est citée dès la fin du XIIIème siècle. Un riche armateur et échevin de la ville de Rouen, Jacques Le Pelletier, acquiert en 1481 ce fief alors étendu sur 25 hectares. Soucieux d’acquérir un statut social et noble, il entreprend en 1485 la construction d’un château fort. La date de 1495 gravée sur la clé d’une fenêtre de la tour sud pourrait correspondre à la fin de la construction du premier château fort. Au décès du propriétaire en 1510, son neveu, Jacques second du nom, héritera du domaine et transformera les lieux en une résidence de plaisance. La construction s’imposera parmi les tous premiers édifices de la Renaissance normande. L’architecture de ce château et l’appareillage de sa façade en  briques rouges et pierres blanches de Vernon, auxquelles sont ajoutées des briques vernissées noires disposées en forme de cœurs, de croix ou de losanges, rythment la façade et le rendent reconnaissable de loin.

Ce domaine reste dans la famille Le Pelletier jusqu’en 1787, date à partir de laquelle il deviendra une exploitation agricole et connaîtra quelques vicissitudes. D’abord inoccupé, il subira des déprédations, notamment pendant la guerre de 1870. Il sera classé au titre des monuments historiques en 1889. Il devient par la suite, en 1905, la propriété d’un marchand de bestiaux, guère concerné par la conservation du patrimoine, puisqu’il en abattra les alignements de chênes et s’apprêtait à raser l’édifice qui avait souffert de l’abandon et de l’occupation prussienne. Pour le sauver de la destruction, l’Etat s’en portera acquéreur en 1906. Un deuxième arrêté de classement pris en juin 1931 protégera la ferme du château avec le puits, le colombier et les hangars.

Un projet de lycée agricole est esquissé une fois la restauration du château terminée, mais il ne sera pas poursuivi. En 1955, cette propriété est confiée au Conseil Général de Seine-Maritime qui décide d’y installer à partir de 1962 un musée des Traditions et Arts normands. Progressivement des travaux de restauration se poursuivent tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. C’est en octobre 1997 que sera pris le troisième arrêté d’inscription concernant l’emprise foncière des anciens jardins avec l’ensemble des éléments subsistants des murs de clôture.

Il ne reste plus qu’à envisager l’aménagement de jardins pour valoriser la façade Est du château, décision qui sera prise en 2011. Une réflexion sera menée sur le concept à adopter au vu du site historique, et des documents disponibles. Après des années d’abandon et la colonisation du parc du château par bon nombre de plantes rudérales, plusieurs questions restaient en suspens. Aucun document n’atteste de l’existence de jardins aux XVIème et XVIIème siècles. Seuls des plans terriers datant de 1739, 1750 et 1787 et deux miniatures de la fin du XVIIIème siècle montrent l’ordonnancement d’une architecture de jardin. On peut découvrir sur ces dernières des broderies de buis, des allées d’arbres taillés en marquise, des bosquets et de grands bassins à la place des parterres.

Plan terrier de 1739
Plan terrier de 1739
Plan terrier de 1787
Plan terrier de 1787
Miniature du XVIIIème siècle

Que faire ? Quel concept appliquer ? Fallait-il s’appuyer sur l’un de ces documents ? Ou bien envisager, au vu de l’époque du château lui-même, la reconstitution d’un jardin Renaissance, en s’inspirant d’autres plans de jardins de cette époque ?

Les différents plans terriers de Martainville, qui s’échelonnent du début à la fin du  XVIIIème siècle, nous montrent des jardins au tracé régulier.

Pour le plus ancien, des parterres de broderies, bordés sur leur plus grande longueur de parterre de topiaires, des bosquets agrémentés d’allées convergeant en un rond-point central. Les différents parterres sont tous encadrés par des lignes de haies. On peut distinguer une belle perspective d’un double alignement latéral qui disparaît sur les autres plans, alors que la perspective principale est renforcée. Quant aux broderies, elles aussi seront supprimées.

Plan des nouveaux parterres ©Th Hay

L’élaboration du projet de jardin est confiée à Thierry Hay, responsable des parcs et jardins des sites et jardins départementaux. Il propose une adaptation contemporaine et réinterprétée des jardins Renaissance. Ceux-ci se caractérisent par un espace clos, divisé en grands carrés ou rectangles. Ces derniers sont ceinturés de clôtures, palissades, plessis ou haies et divisés eux même en carrés, rectangles ou triangles. Des topiaires de différentes essences animent la composition.

Les nouveaux parterres
Les nouveaux parterres ©BFR
Les nouveaux parterres
Les nouveaux parterres en 2016 ©BFR

S’appuyant sur les caractéristiques de cette époque, il dessine un projet aux formes géométriques, avec un axe central très marqué soulignant la symétrie des jardins. L’espace est divisé en carrés, traversé d’allées perpendiculaires ou diagonales. Le choix des végétaux s’est porté sur des essences contemporaines. Les carrés sont plantés dans leurs angles de buis taillés en forme de cône et ceinturés de pommiers et poiriers en cordons symbolisant les haies ou les plessis.

Ces arbres formés et taillés font référence aux cultures fruitières en Normandie, ainsi qu’aux collections du château. Les graminées évoquent les céréales, les vivaces d’aspect sauvage et champêtre choisies sont une évocation de la campagne normande. Une dominante de violet est utilisée avec les verveines de Buenos Aires, couleur complémentaire de l’orange des briques du château.

Thierry Hay a fait réaliser ce projet, inauguré en septembre 2014, en régie par les jardiniers de la cellule Parcs et Jardins du Conseil Général.

Thierry Hay à la création du parterre
Thierry Hay à la création du parterre

Le château de Martainville, à  Martainville-Epreville, à 17km à l’Est de Rouen, est largement ouvert au public (www.chateaudemartainville.fr). Nombreux renseignements sur la page dédiée au château de Martainville.

Martine Pioline