Le domaine de Miromesnil

Nous approchons…..Autour de nous, le riant paysage Cauchois s’ordonne et s’amplifie.  Juchés sur leurs talus, les hêtres s’alignent en garde d’honneur, longs rideaux et lointaines  perspectives. C’est alors qu’apparaît Miromesnil, comme jailli des siècles, dans son écrin structuré et foisonnant.

La chapelle
La chapelle

Cent hectares de champs, soixante-dix de bois, trente de parc… harmonie préservée d’un domaine d’antan, labellisé Jardin Remarquable.  L’oreille s’éveille au silence, les yeux à la lumière, la respiration s’apaise. Comment expliquer ce bonheur soudain ?

Sortie du fond des âges, la chapelle classée Monument Historique se tient un peu à l’écart. Sa cloche donnait déjà de la voix sous Henri IV.  Autour d’elle, bois, champs et bâtiments se sont façonnés mutuellement au cours des siècles, trouvant leur équilibre naturel, fonctionnel, esthétique…

 Rien n’est là par hasard: chaque détail a son histoire. Nature et main humaine, par leurs actions croisées ont créé cette harmonie.  A chacun de l’imaginer et de la ressentir.

Le château de Miromesnil
Le château de Miromesnil

Plus de 3.500 hêtres animent ce décor grandiose, formant une perspective d’un kilomètre, festonnée d’allées, de massifs, de talus.
Au milieu trône en patriarche le cèdre du Liban au moins deux fois centenaire ! 
Il domine une exceptionnelle collection de magnolias  anciens. Quelques chèvres apportent une note bucolique.

La longue allée de hêtres
La longue allée de hêtres
Plan XVIIIème siècle de Miromesnil
Plan XVIIIème siècle de Miromesnil

Le parc a été redessiné à l’anglaise au XVIIIème siècle mais le visiteur retrouvera avec plaisir l’esprit de l’ancien jardin à la française, dont le tracé est connu par un plan qui est conservé au château.
Derrière la demeure, des tontes différenciées créent des variations de hauteur d’herbe qui suffisent à dessiner l’équivalent d’un parterre régulier. L’effet est saisissant…  

Monument Historique Inscrit, le château est issu de deux re-constructions, sur fondations médiévales. Ses façades de calcaire blanc et de briques roses répondent au sombre des bois, au vert des prairies, au camaïeu du potager.

La tonte différenciée
La tonte différenciée

Il fut la demeure d’Armand Thomas Hue de Miromesnil, Garde des Sceaux de Louis XVI, qui humanisa la Justice, supprima la torture et répandit de nombreux bienfaits avant de  mourir sur place en 1797 (ayant échappé – de peu – à la guillotine).

Mais le label “Maison des Illustres” qui honore les lieux  tient à la naissance de Maupassant en 1850.

Aucun doute que ces lieux inspirés n’aient initié de prime abord sa fécondité littéraire !

Le buste de Maupassant
Le buste de Maupassant

En 1938, la comtesse Simone de Vogüé devient maîtresse des lieux. Avec elle commence la renaissance du domaine qui, déjà épargné par la Révolution, sortira miraculeusement indemne de l’occupation allemande puis alliée.

Sa petite fille, Nathalie Romatet,  reprend le flambeau  en 2004, avec son mari Jean-Christophe et leurs enfants, dans la même  tradition familiale d’écoute et d’attention aux autres.  

Le  jeune couple doit faire face d’emblée aux charges et enjeux très lourds de notre époque mais il saura ouvrir au monde la Maison.

Le  cœur, le fleuron du domaine reste son potager. Il repose au premier chef sur l’art du jardinier mais illustre également l’investissement quotidien de la famille.

Paillage dans le potager
Paillage dans le potager

Après la guerre, les hauts murs de brique rose encadraient un champ de ronces sur un sol épuisé. 

Madame de Vogüé dessina un plan classique : quatre carrés bordés d’allées en pelouses, sur 2.500m².

Au prix de considérables amendements, de sélection de plants du monde entier et d’échanges amicaux avec les sites voisins, elle put recréer la véritable oasis qui s’offre aujourd’hui à nos yeux.

Avec neuf enfants et le personnel, la priorité vivrière s’impose alors. Mais les fleurs se mêlent aux légumes, selon des modes entièrement nouveaux qui se perfectionnent à mesure qu’apparaissent les effets de symbiose. Sans oublier un objectif très important : des bouquets dans le château !

L’ensemble du potager a été surélevé par d’importants apports de terre afin de permettre un bon drainage et d’éloigner les végétaux du limon qui se trouve en sous-sol. Chaque année le potager est amendé avec du fumier de cheval et du compost fait à partir de feuilles mortes et d’un peu de tontes de gazon.

Cette expérimentation se poursuit aujourd’hui avec un labourage moins profond, la formation de buttes, une gestion de l’eau plus stricte (issue de collecte pluviale) ainsi que  le recours aux engrais verts, en particulier le trèfle.  

Le paillage (y compris avec de la paille de lin, qui se dégrade vite) entre les rangées de végétaux permet de limiter les arrosages, ce qui est particulièrement opportun avec le changement actuel de climat. Les magnolias du parc reçoivent à leurs pieds des écorces broyées.

Quelle symphonie de légumes et fleurs multiples! Tailles, formes, volumes, couleurs  s’articulent, se succèdent, varient au fil des saisons et des années.

Delphiniums
Magnolias en avril
Magnolias en avril

Le Carré des géants  (Maïs, tournesol, sorgho ricin de Zanzibar) est plus particulièrement dédié à l’expérimentation. Les légumes anciens sont en bonne place, tout comme les espèces locales (Poireaux d’Elbeuf, radis de Gournay ou les très spectaculaires choux géants de Saint-Saëns).

Les fleurs sont présentes toute l’année, en mixed-borders : bulbeuses multiples (tulipes, jonquilles, muscaris) vivaces (campanules, achillées, asters) ou annuelles (Lavatères, cléomes)  Les sauges diverses (Salvia horminum entre autres) et les delphiniums ont une place particulière : Pendant la guerre les soldats anglais en avaient planté à Varengeville. Ces fleurs magnifiques mais fragiles car  à tiges creuses, sont étayées par des branches de hêtre coupées sur place en hiver.

On reste fidèle aux habitudes culturales traditionnelles, mais sans se sentir concerné par la recherche d’un quelconque label, qui imposerait un contrôle trop compliqué des intrants (semences et même fumiers certifiés…). La variété des fleurs dans chacun des  carrés du potager permet de régaler les abeilles, dont le rôle est essentiel pour une bonne pollinisation. Elles sont hébergées à proximité dans une vingtaine de ruches. Les mixed-borders constituent aussi une bonne barrière végétale à la propagation des maladies d’un carré à l’autre.

Le long d’un des murs du potager,  une estrade permet de jouir d’une vue plongeante insolite sur les parterres.

Les légumes, avec toutes leurs nuances de goûts et de couleurs sont vendus quotidiennement à la boutique.

Des classes entières viennent aussi avec leurs professeurs visiter le potager et se livrer à des exercices d’observation et d’éducation au goût  dont la pédagogie moderne reconnaît toute  l’importance. Ces séances rencontrent un très grand succès. Mais restaurer le domaine, c’est aussi rétablir son esprit, retrouver ses traditions et  surtout en lancer de nouvelles ! Ce qui fait visiblement recette auprès de publics variés, parfois éloignés du Patrimoine.

C’est ainsi que la “Chasse aux œufs”, événement familial d’antan, réunit maintenant 2.000 à 3.000 personnes; que le “Salon de la laine”  relance chaque année le goût du tricot !  Sans compter les soirées “Cluedo”, intrigues policières toujours renouvelées par l’imagination des guides du domaine. Le tout clôturé par un Marché de Noël, qui a attiré 10.000 participants en 2019 !

Jean-Christophe, Nathalie Romatet et leurs enfants

La tradition d’accueil et d’hospitalité se prolonge avec les gîtes et chambres d’hôtes (plus de trente nationalités  accueillies dans l’année !) ou les séminaires d’entreprises, dans le cadre intime et  familial qui contribue à leur réussite !

Chaque année, plus de 30.000 personnes viennent à Miromesnil, dont environ 3.000 scolaires.

C’est ainsi que revivent nos campagnes… Miromesnil est un grand vaisseau de pierre qui navigue dans les profondeurs de l’histoire longue. Il a retrouvé un cap. Poursuivant sa route, il innove et progresse dans le Beau comme dans le Bon.

Texte : Jean-Luc de Feuardent.
Photos : Marie Boissel-Bazin

Le château de Miromesnil, à Tourville-sur-Arques, est à 9 km au Sud de Dieppe. Il est très largement ouvert au public. Nombreux renseignements sur la page dédiée au jardin de Miromesnil