Jardin du Château du Champ de Bataille

Entretien avec Jacques Garcia

Champ de Bataille
Champ de Bataille

Lorsque l’on visite les jardins de Champ de Bataille, on a du mal à croire qu’une telle création ait pu être réalisée aussi rapidement… Ce n’est en effet qu’en 1992 que le décorateur Jacques Garcia a acheté le domaine, et en 1994 qu’il a commencé à réaliser les jardins, en développant ce qui reste depuis des années « le  plus grand chantier privé de France ». Cinq millions de mètres cubes de terre déplacés, plusieurs canaux dont le principal mesure 550m de long sur 50m de large, perspective rectiligne de 1,5km s’étendant du château jusqu’à la colonne surmontée d’une sphère d’or qui symbolise le monde de l’esprit… Les travaux et le résultat sont impressionnants.

Collection d'antiques
Collection d’antiques

Jacques Garcia a l’habitude, dans son métier de décorateur, de passer de la restitution de l’ancien à la création contemporaine. Il a ainsi travaillé depuis 2009, à Versailles, à la reconstitution d’une quinzaine de pièces des appartements privés des rois, en étant le plus fidèle possible à la réalité de l’époque : tissage de draperies à partir des modèles anciens, analyse des peintures découvertes sous les couches plus récentes, mobilier choisi en fonction des inventaires qui nous sont parvenus. Au Louvre, pour  les trente-trois nouvelles salles de la Muséographie du Département des Arts Décoratifs français des XVIIe et XVIIIe siècles,de tels inventaires manquaient, il a donc été  amené à prendre plus d’initiatives.

Dans le château de Champ de Bataille, il s’est efforcé de retrouver l’état du palais qui existait avant les transformations successives, de la création en 1654 jusqu’à la transformation en hôpital pendant la seconde guerre mondiale. Il a par exemple supprimé un niveau intermédiaire pour retrouver la hauteur de plafond originelle du salon d’Hercule. Lorsqu’il peut installer des éléments anciens en matériaux nobles, il en est ravi. Mais il explique que Louis XIV lui-même  avait laissé dans un des principaux salons de Versailles un grand médaillon en plâtre le représentant, alors que son intention était certainement de le faire réaliser un jour en marbre.

Jacques Garcia dit avoir eu la chance de pouvoir s’attaquer à la restauration de Champ de Bataille assez jeune, à 45 ans, et alors même qu’il avait eu la possibilité de faire ses armes, depuis l’âge de 30 ans, sur les deux propriétés qu’il avait achetées : la maison de Mansart à Paris, près de la place des Vosges, et le château de Menou, en Bourgogne. Il en va ainsi des jardins, entre reconstitution, interprétation et création, dans un esprit qui s’inspire essentiellement de celui des XVIIème et XVIIIème siècle.

Parterre de broderies
Parterre de broderies
Champ de Bataille
Banc entre les charmilles

Occupant maintenant 45 hectares, les jardins n’en faisaient que 10 lorsque Jacques Garcia a démarré leur recréation, dans l’esprit de Le Nôtre, sur la base en particulier d’un croquis  définissant l’axe central en face du château, jusqu’au bassin circulaire. Cet axe central, bordé de parterres en broderies de buis, est tout à fait dans l’esprit du XVIIème siècle. Par contre, dès que l’on s’écarte de cet axe, et en particulier dans les bosquets, l’on découvre des fabriques dont certaines sont volontairement extravagantes, comme il y en avait beaucoup en Europe au XVIIIème siècle, et dont certaines sont encore visibles aujourd’hui en Angleterre ou à Potsdam notamment.

Le temple de Léda est constitué à partir de colonnes  et de statues antiques.  Il est situé à l’extrémité d’un canal ancien (qui menait à un moulin), perpendiculaire à l’axe principal. Jacques Garcia explique que Louis XIV avait eu l’idée de démonter un temple romain pour le mettre au bout du grand canal de Versailles, où il aurait constitué le temple d’Apollon.

La réalisation de pièces d’eau est pour beaucoup de propriétaires de jardins une source de difficultés, en particulier leur étanchéité. A Champ de Bataille, trois techniques ont été utilisées avec succès : le grand canal comprend au fond un film épais en caoutchouc. Le canal situé devant le temple de Léda a un fond en argile. Quant aux bassins, ils sont en ciment recouvert de résine, comme certaines piscines. Le parc était autrefois traversé par un ruisseau. Malheureusement le remembrement  des terres agricoles a supprimé cette alimentation et il faut maintenant compter en particulier sur une source locale pour disposer d’eau. L’été, l’évaporation de l’eau peut conduire le niveau du grand canal à baisser de quarante centimètres. Heureusement le canal fait quatre mètres de profondeur et cette baisse de niveau ne gène pas le regard.

Le grand canal
Le grand canal

La tempête de 1993 avait abattu l’essentiel des vieux arbres du parc à l’anglaise du XIXème siècle. Cette catastrophe, survenue un an seulement après son acquisition, a permis à Jacques Garcia de créer le jardin à la française qu’il nous offre maintenant. Le château lui-même étant en bon état, il a pu se consacrer aux intérieurs et au jardin.

Il a ouvert le château et le parc dès le début, pensant que cela intéresserait le public d’assister aux transformations menées à un rythme soutenu. Quelle ne fut pas sa surprise d’entendre certains visiteurs se plaindre d’avoir payé pour voir des bulldozers à l’œuvre… Heureusement d’autres remarques l’ont encouragé à maintenir l’ouverture au public. Les amateurs de jardins savent combien le temps est essentiel, qui permet de voir se réaliser le dessein prévu. Des kilomètres de buis et de charmille ont été plantés, avec des sujets de 30 à 40cm, et les statues déjà mises en place paraissaient disproportionnées. Maintenant que les charmilles atteignent jusqu’à dix mètres, les proportions sont équilibrées.

Charmilles
Charmilles
Théâtre de verdure
Théâtre de verdure

La promenade dans les jardins mène de surprise en surprise. Il en va ainsi par exemple du théâtre de verdure, caché latéralement au grand axe : deux scènes font face aux spectateurs. L’hémicycle entre les gradins peut être rempli d’eau, si bien que la colonnade s’y reflète. Une plateforme peut être posée sur l’eau, pour supporter un piano dans de très bonnes conditions acoustiques.

La dernière création de Jacques Garcia est la plus étonnante : le « jardin du palais des rêves » est l’évocation d’un jardin moghol du XVIème siècle, que l’on croirait sorti tout droit d’Agra.

Il s’agit d’un palais indien, constitué de fabriques indiennes du XVIIème et du XVIIIème siècle. Jacques Garcia souligne que s’il y a bien en Angleterre des constructions dans l’esprit indien, comme à Brighton par exemple, il n’y a eu par contre aucune réalisation de grand jardin indien en Europe.

Bassins, jets d’eau alignés comme au Taj Mahal, fabriques en grès rose surmontées de coupoles en plomb, colonnades en marbre blanc, mur d’enceinte en grès taillés à Agra même… Sur la photo ci-contre, les deux colonnes en grès étaient destinées à recevoir des lumières dans chacune des niches.

Jardin moghol
Jardin moghol

Même la terre d’Agra est évoquée ici, par un paillis de copeaux de bois exotique dont la couleur rouge est si caractéristique. Il est disposé sur un géotextile pour faciliter l’entretien.

Jacques Garcia avoue qu’il n’aime rien tant que de créer… on le croit volontiers. Il se dit être conscient d’être un « détenteur provisoire » du chef d’œuvre qu’il a créé.

Il a le désir de transmettre Champ de Bataille d’une façon telle que d’autres générations de visiteurs puissent en profiter. Même s’il rappelle l’émotion qu’il avait éprouvée à l’âge de 14 ans lorsque son père l’avait fait pénétrer dans le Désert de Retz, dont il garde le souvenir des ruines de la maison chinoise complètement ceinturée par le lierre, et même s’il affirme qu’un jardin est une œuvre vivante qui ne peut rester statique, on ne peut qu’espérer que l’institution qui aura peut-être la garde de ce lieu exceptionnel aura la possibilité de le faire vivre dans la durée.

Pour permettre une exploitation autosuffisante du domaine (une quinzaine de jardiniers), Jacques Garcia a transformé les communs (face au château et aussi importants) en une résidence de vingt chambres très luxueusement aménagées. Il est prêt à louer pour de grandioses fêtes privées, le temps d’un week-end par exemple, cette résidence et le jardin moghol. Celui-ci ne fait pas partie du domaine normalement accessible au public, même s’il a été ouvert pour la première fois lors des journées du patrimoine en 2013.

Les jardins et le château de Champ de Bataille sont près du Neubourg, dans l’Eure, à 40km au sud de Rouen. Ils sont ouverts au public de Pâques à la Toussaint. Informations sur le site www.chateauduchampdebataille.com. Un très bel ouvrage sur le château et les jardins de Champ de bataille a été publié par les éditions Flammarion fin 2013.

Interview et photos : Benoît de Font-Réaulx
Date de publication : 2014

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