L’existence de La Mésangère semble attestée depuis le XVᵉ siècle, mais le premier château fut entièrement détruit en 1592 par le duc de Mayenne, second fils de François Ier et l’un des chefs militaires de la Ligue catholique. Un riche négociant écossais installé à Rouen, Guillaume Scott, achète le domaine en février 1659, et commence alors la période faste de La Mésangère. Il semble qu’il se soit d’abord attaché au parc, dans l’objectif d’agrandir la demeure ensuite. Les dimensions restreintes du bâtiment par rapport à l’ampleur du parc, ainsi que son plan asymétrique, laissent supposer que le projet initial d’une demeure à la hauteur de la fortune et des prétentions de Scott ne fut pas mené à bien, en raison de la disparition de Guillaume Scott en 1679 et de celle de son fils Guillaume II Scott trois ans plus tard.

Le duc d’Harcourt, alors Vice-Président de la Demeure Historique, soulignait en 1960 cette dichotomie des lieux : Les terrasses, les fossés, les avenues, les perspectives de La Mésangère, où Madame de La Sablière fit de longs séjours, toute cette construction savante due au génie de Le Nôtre subsiste encore aujourd’hui, grâce à une suite ininterrompue de propriétaires éclairés. Mais la demeure pour laquelle ces extérieurs ont été réalisés n’a jamais pu être achevée, et ce parc admirable, en ne répondant plus au centre qui le justifiait, est devenu comme le reflet de lui-même, un lieu enchanteur et enchanté que Watteau aurait pu choisir pour servir de décors aux personnages troublant issus de son rêve.
La tradition donne André Le Nôtre comme créateur du parc et des jardins de La Mésangère, cette attribution n’étant pas établie de manière certaine. Nous n’avons par ailleurs retrouvé aucune description ni représentation iconographique permettant de connaître la physionomie des jardins d’agrément qui entouraient le château de La Mésangère au XVIIᵉ siècle, ou l’existence et l’emplacement des parterres fleuris. En revanche, la composition générale du parc a été conservée. Cette composition est décrite dans une expertise datée du 7 décembre 1675, réalisée à la demande du propriétaire par le lieutenant général des Eaux et Forêts de la maîtrise de Rouen. Elle est décrite de nouveau, un siècle plus tard, dans le terrier de La Mésangère rédigé vers 1777. Mais hélas, le plan général accompagnant ce terrier ne semble plus exister. Le parc dans sa composition supposée d’origine a ainsi traversé les siècles sans altération majeure, si ce n’est les amputations et divisions des terres et bois hors des murs.

Le parc est clos par des murs en briques ou en bauge, certains confortés par des harpages en pierre ou des contreforts, et par des sauts de loup maçonnés en briques. Ces ha-ha préservés permettent de profiter du grand paysage autour du domaine. Des paires d’imposants piliers en assises alternées de briques rouges et de pierres blanches avec corniches en pierre cantonnent la grille d’entrée et certaines autres portes. D’autres piliers, plus simples, portant des boules de pierre, se dressent de part et d’autre d’accès secondaires du parc. Les piliers de l’entrée du domaine supportaient la statue d’un cerf et d’une biche couchés, aujourd’hui en grande partie ruinés. Si la belle grille centrale en fer forgé a été rapportée en 1793 du château de Fumechon (La Mésangère ayant été acquise à cette époque par M. Chrestien de Fumechon), ces deux sculptures existaient dès le XVIIᵉ siècle. D’une part, le cerf fait partie des armes des Scott, d’autre part le terrier de La Mésangère mentionne la grille de fer nommée la porte aux cerfs. Les onze statues qui se rencontrent à l’intersection de certaines allées du parc, inspirées de la mythologie grecque, furent installées au cours du XVIIIᵉ siècle (certaines sont datées de 1721, d’autres de 1772). Elles sont de facture et de matériaux différents. Copies de statues de Marly, rien ne prouve qu’elles aient été créées pour La Mésangère. Deux d’entre elles portent sur leur socle la signature de Mille, un sculpteur qu’on ne peut identifier avec certitude.



La tempête de 1999 aura probablement été l’épisode le plus dévastateur pour le parc. Les grand tilleuls et marronniers, laissés depuis longtemps en port libre et peu élagués, ont été victimes de puissantes rafales, écrasant parfois des portions entières de murs. Par miracle, la glacière et les statues ont été épargnées, à l’exception de celles de la grille d’honneur. Quelques travaux de replantation d’alignements ont été entrepris au début des années 2000, mais l’ensemble des dégâts n’a pas été traité et le parc a ensuite été laissé sans entretien régulier.
Depuis notre acquisition en 2019, nous cherchons redonner une figure lisible au parc, avant d’entamer des travaux de replantation. Le parc étant classé Monument Historique en totalité et, pour la plus grande partie, protégé au titre des sites classés depuis 1925, c’est sous la double tutelle de la DRAC et de la DREAL que ce projet devra être mené.
Après de gros travaux de nettoyage, nous avons décidé d’ouvrir le parc au public et avons fait réaliser par les services de l’ONF une étude sécuritaire et sanitaire ayant conduit à des abattages et élagages sur l’axe principal du parcours.
Une campagne de restauration des statues a ensuite été menée de 2021 à 2024 dans le cadre d’un projet de création d’un parcours de visite éducative et culturelle, ouvert aux groupes scolaires et au public, soutenu par les fonds européens LEADER. Cette campagne a permis de supprimer les armatures de fer introduites lors de précédentes restaurations et de les remplacer par des goujons en fibre de verre, de remplacer les joints en ciment par des joints à la chaux, de refixer des éléments démantelés et de restaurer les socles. Nous protégeons les statues pendant l’hiver par des bâches en coton de type militaire (choisies sur les conseils du château de Versailles), et les traitons avec un algicide au printemps.
Un potager fleuri a été redessiné en bordure de la mare qui se trouve au pied du château, dont l’alimentation provient du drainage des pâtures et de l’eau des toitures. A proximité immédiate de la terrasse donnant sur la mare, ce potager est un lieu intimiste qui nous permet de cultiver légumes, plantes aromatiques et fleurs, et de nous tenir dans un espace à taille humaine.

Nous en avons profité pour incorporer à l’extrémité du potager un bassin d’assainissement phytosanitaire, le traitement des eaux usées étant réalisé par un filtre vertical planté de roseaux sur une superficie de 20 m², avec une capacité de traitement de 1500 litres/jour, pour une occupation moyenne de dix personnes. Les eaux filtrées sont ensuite rejetées dans la mare. Cette installation, choisie pour remplacer l’ancienne fosse septique sans dénaturer les lieux, a reçu la conformité du SPANC (Service public d’assainissement collectif). Il fonctionne parfaitement et sans nuisances.
Les murs en brique ou en bauge ont été libérés du lierre, reconstruits partiellement (travaux d’urgence), et la couverture du mur en bauge bordant le domaine au sud a été remplacée. Il reste beaucoup à faire sur ces ouvrages qui ont subi l’épreuve du temps ainsi que de mauvaises restaurations au ciment. Sur certains, nous nous efforçons de redonner leur forme aux poiriers palissés qui subsistent, avec une certaine satisfaction de voir que les tailles de l’année précédente rajeunissent les sujets, et nous comblons les manques.
La reprise du mur d’enceinte nord, très édenté par les chutes de tilleuls et marronniers, nous a conduits à demander une autorisation d’abattage préalable des vieux tilleuls et marronniers clairsemés le long du mur, en vue de la replantation d’alignements reprenant le dessin historique.


A la demande de la DRAC et de la DREAL, ces opérations d’abattage et de replantation devront être précédées par la réalisation d’une étude historique et paysagère afin de compléter de précédentes études réalisées au début du siècle et de définir un plan de replantation et de gestion des espaces boisés. La replantation d’alignements est une opération complexe lorsque l’on cherche à maintenir une certaine présence visuelle : peut-on garder certains sujets, ou certains groupes ?


Faut-il procéder par tranches espacées de plusieurs années ? Quelles essences sont à privilégier en fonction de l’option choisie (les hêtres peuvent pousser à l’ombre d’autres arbres, les tilleuls beaucoup moins) ? Quelles essences choisir face aux contraintes du réchauffement climatique ? Nous espérons définir un plan d’actions et nous positionner sur les choix à opérer au regard des essences à retenir (en intégrant la contrainte climatique), de la conduite des arbres (libre ou en palissade), voire de la replantation de charmilles (avec ses contraintes d’entretien), de la recréation d’allées ou de parterres si leur présence passée est avérée. Un programme de fouilles (ou l’utilisation d’autres techniques telles que les relevés du programme LIDAR, bientôt disponible en Normandie, ou l’utilisation de moyens lasers ou électriques) permettra peut-être de le savoir.

Enfin, la recherche de documents et l’exploitation de toutes les archives disponibles pourra peut-être aider à lever les parts d’ombre qui subsistent, car en l’état des connaissances, La Mésangère conserve en partie le mystère qui fait aussi son attrait.

Nicolas et Sandra Bichot
Le château de La Mésangère est à Bosguérard de Marcouville, 27520 Les Monts du Roumois à 15 km à vol d’oiseau au SO de Rouen.
Il est ouvert au public aux horaires indiqués sur le site
www.chateaudelamesangere.com
ou sur réservation : 06 15 38 55 35

