Né au milieu des années 80 sur l’espace entièrement nu d’une ferme brayonne, le Jardin du Mesnil s’est brodé au fil des ans autour de la maison que nous habitons maintenant depuis 40 ans.
Notre projet initial, la mise en place d’un verger normand, a vacillé dès nos premières visites de parcs et jardins anglais, qui ont forgé notre sensibilité et affiné nos attirances pour le monde végétal.

La première décennie s’est concentrée sur l’aménagement des 6.000 m² entourant la maison. Les premiers Acers s’accompagnent d’un Nyssa, d’un Liquidambar, d’un Liriodendron et d’un tout jeune Taxodium issu d’un semis de graines récoltées dans le parc du château de Sully sur Loire.

Dès la seconde moitié des années 80, de magnifiques rencontres ont contribué à soutenir notre intérêt pour le monde des arbres et des arbustes. Nous rendons hommage à ces personnes qui nous ont tant appris, avec la modestie qui caractérise les vrais naturalistes : James Harris, Charles Favier, la famille Van Gelderen et d’autres ont contribué à l’élaboration de notre ADN paysager. C’est aussi à cette époque que l’Arboretum des Barres, par sa production de plants à prix très modestes, nous a permis de découvrir et d’acclimater de très nombreux genres, en partant de tout jeunes plants que nous ramenions par cageots entiers.

Cette source de taxons les plus divers a forgé notre méthode d’aménagement.
Nous faisions l’acquisition de jeunes plants essentiellement par découverte et par coup de cœur pour les élever ensuite dans les conditions locales de notre tunnel ombrière.
Quelques années plus tard, nous les plantions ; de telle sorte que nous partons toujours du plant auquel il faut trouver sa place et non d’une place à meubler par un plant à rechercher.
Dans la prolongation de cette première partie du Jardin du Mesnil, une surface nouvelle baptisée « Les Clos » est venue agrandir l’espace initial, suivie au début des années 2000 du « Grand Jardin ». C’est ainsi que les 4 hectares que couvre dès lors le jardin ont permis de très nombreuses implantations, elles même rendues possibles par l’existence de stocks de jeunes plants devenus suffisamment solides pour y être définitivement plantés.
Quelques genres emblématiques du Jardin du Mesnil contribuent à lui donner une continuité et un attrait tout au long des saisons : Magnolia, Acer et Hydrangea constituent la quintessence du jardin et contribuent à la richesse de son évolution d’avril à novembre. Notre Acer palmatum ‘Seiryu’, classé sujet exceptionnel en 2017, illumine le printemps autant que l’automne par ses nuances de couleurs particulièrement vives.
Pendant ces années d’aménagement incessant, un seul événement a remis en cause notre foi et notre motivation : la tempête Lothar du 26 décembre 99, dont les effets ont été dévastateurs au Mesnil et dont les séquelles ont perduré de nombreuses années.


Au début des années 2000, nous apprenons que les 10 hectares à usage agricole qui jouxtent le jardin vont se trouver disponibles dans les années 2005-2010. Après quelques hésitations, « Ira ? N’ira pas ?», nous avons pris la décision de pousser jusqu’au bout notre délire pathologique, ce qui nous mènera à 16 années d’aménagement du « Parc Botanique de Bray ».
L’approche n’est pas celle du jardin (arbres, arbustes, vivaces) mais essentiellement celle d’un arboretum, où ne cohabiteront qu’arbres et arbustes de développement significatif. Sans succomber à la logique des thèmes ni à celle de la collection, nous avons approfondi la représentation de genres « coup de cœur » tels que Nothofagus, Carya, Aesculus, Styrax, Cornus, Euonymus et bien évidement Magnolia, Acer et Hydrangea.

Ces derniers s’accompagnent d’une belle représentation de variétés de Ginkgo et d’un bel ensemble de 62 variétés de Liquidambars américains et asiatiques qui illuminent l’automne dans des nuances impressionnantes de diversité.
Les conditions locales ont fortement contribué à la rapidité de pousse des végétaux ainsi qu’à l’ampleur de leur développement. Le limon argileux à forte teneur organique du Mesnil, la régularité de la pluviométrie, l’hygrométrie normande assurent aux plantes un contexte optimal. Pour exemple, un Acer saccharinum (Érable argenté) planté en 1986 a maintenant un tronc de plus de 5 mètres de circonférence et un Taxodium (Cyprès chauve) du même âge affiche une hauteur de plus de 20 mètres. Certains de nos visiteurs sont extrêmement surpris de l’exubérance du développement de certains plants, jusqu’à douter de l’âge annoncé pour certains d’entre eux…
Nous avons intégré dans cette réalisation des constats et des observations que la nature nous a rappelés, au premier rang desquels l’importance des conditions locales, au détriment des vérités ou pseudo vérités diffusées par nombre de publications ou de professionnels de la vente. Par exemple, non les érables du Japon ne sont pas chez nous des plantes de mi-ombre ou d’ombre, comme ils peuvent l’être en partie dans leur aire d’origine. Non les érables du Japon ne nécessitent pas chez nous de terre de bruyère mais s’accommodent très bien d’une terre argileuse neutre à légèrement acide. La lumière est fondamentale dans tout aménagement paysager en Normandie, tant l’excès d’ombre pose des problèmes visuels autant que sanitaires.

Nous ne constatons rien de probant en matière de changement climatique. Entre 1985, année de la plantation de notre premier arbre, et aujourd’hui, la température moyenne de la Seine Maritime a progressé de 1,8°. La pluviométrie est globalement stable au même titre que l’hygrométrie et la plupart des végétaux introduits sont originaires de régions à amplitude thermique plus large que celle que nous avons ici. Nous ne constatons pas non plus d’affinité ou de rejet particulier entre genres ou espèces végétales et nous observons cette très belle harmonie de vie entre ces arbres d’origines les plus diverses.

L’ouverture au public du Jardin du Mesnil et maintenant du Parc Botanique de Bray permettent de nombreux échanges avec les visiteurs, qu’ils soient botanistes, dendrologues avertis ou beaucoup plus souvent simples amateurs de nature et de sérénité en recherche d’émotions que l’offre de la nature permet de satisfaire. La labélisation « Jardin Remarquable » obtenue en 2015 contribue à diversifier l’origine de ceux qui nous font l’honneur de leur venue. Ces contacts passionnants se trouvent renforcés par notre participation à la Maple Society, communauté internationale de passionnés de l’érable, où les échanges d’informations s’accompagnent d’échanges de graines, de dons de jeunes plants et de sauvegardes de variétés. Nous organisons avec régularité des visites accompagnées ou thématiques qui répondent aux attentes les plus diverses de nos amis visiteurs. L’abondance et la diversité des graines nous permettent d’organiser chaque automne une journée « collecte de graines » au bénéfice des participants, avec une initiation aux techniques de semis. L’adjonction en 2016 d’un salon de thé avec petite restauration raffinée a permis d’accentuer la convivialité du lieu, où l’échange reste le mobile essentiel de l’ouverture au public.
Un jardin ou un parc ne peut, à notre sens, être gardé pour soi. Les échanges avec le public sont le moyen privilégié pour promouvoir les valeurs qui sont les nôtres : l’importance du rôle du jardin dans la préservation de la biodiversité et dans la sensibilisation aux impératifs des enjeux environnementaux.

A cet égard, notre jardin et notre parc constituent un espace entièrement « zéro phyto », largement au-delà du cahier des charges de la culture biologique. Ils participent au réseau Noé regroupant sur le territoire national tous les jardiniers soucieux de participer activement à la préservation de la biodiversité et à la promotion de sa charte précisant les «10 gestes simples et respectueux de l’environnement au jardin».



Cette logique du « zéro phyto », choisie par raison et non par intégrisme, s’accompagne de l’absence totale de produits de substitution d’origine naturelle tout en laissant la nature faire ses propres régulations. La seule dérogation à ce principe concerne le désherbage du chemin d’accès et de la terrasse du salon de thé. Nous utilisons le vinaigre blanc sur les toutes jeunes pousses d’herbe en complément de l’arrachage manuel.
Nous menons la conduite du jardin et du parc dans le sens des finalités qui nous paraissent essentielles : Un jardin doit apporter de l’émotion à celui qui le visite, un jardin doit être un lieu d’échange entre l’homme et la nature mais aussi un lieu de protection et de conservation des espèces qui y vivent, tout en demeurant un espace de pédagogie et de convivialité. Ceci incarne tout le sens de notre engagement à faire vivre ce lieu que nous aimons tant. Cette longue histoire et le rayonnement du Mesnil nous permettent de confirmer cette maxime d’Oscar Wilde: « Il n’y a que les folies qu’on ne regrette jamais ».
Philippe et Catherine Quesnel
Les Jardins du Mesnil se trouvent à 30km au Nord-Est de Rouen, 25 route du Mesnil, 76680 Montérolier. Ils sont classés Jardin remarquable et Qualité tourisme. Ils sont très largement ouverts au public pour des visites guidées par les propriétaires et pour des ateliers botaniques. Renseignements et réservations sur le site www.jardin-du-mesnil.com, très complet.