La renaissance du Domaine du Grand Daubeuf

Mettre en valeur le passé, s’inscrire dans la modernité

Depuis toujours, j’ai une passion pour le paysage,confie Jérémie Delecourt. Je visite des jardins, je collectionne les livres sur les jardins. J’aime la nature, les éléments qui composent le jardin. J’ai grandi dans les Yvelines. Et je travaille dans la finance. Un jour, je me suis dit : j’aimerais créer ou recréer un jardin et son pendant, la maison. J’aime l’architecture. C’est le coup de foudre pour Daubeuf, pour le lieu.

Le Grand Daubeuf  - jardin du Chateau du Grand Daubeuf
Le Grand Daubeuf © dronedeclic.com

En 2014, Jérémie et Guyonne Delecourt rachètent le Domaine, aujourd’hui constitué des 18 ha de parc et de bois clos de murs, ainsi que de deux anciens vergers séparant l’enceinte de la départementale 926. Ils s’entourent de deux collaborateurs pour la reprise en main de la propriété sur une période de dix ans : Coralie Dantan, architecte du patrimoine (Atelier à Veules-les-Roses) et Guillaume Baschet-Sueur, concepteur paysagiste, diplômé de l’Ecole Nationale Supérieure de Paysage de Versailles.

Les deux premiers projets de restauration convainquent la Fondation pour les Monuments Historiques en 2015: celui du potager reçoit le Prix Villandry, celui du chenil du XIXème siècle le Prix Fondation François Sommer Chasse et Nature, initiant une grande complicité entre les architectes du bâti et du paysage.

Le chenil  - jardin du Chateau du Grand Daubeuf

A Daubeuf, j’ai trois buts, poursuit le propriétaire :

  1. Créer une maison de villégiature pour notre famille, produire fruits et légumes dans un jardin potager, allier le beau et le bon.
  2. Faire tourner économiquement et intelligemment cette propriété. Aujourd’hui nous sommes en période d’investissement. L’objectif est que l’activité  évènementielle finance le jardin.
  3. Ouvrir la propriété sur la communauté qui l’entoure. Autrefois ces propriétés étaient ouvertes. Quand on crée un beau jardin, on a envie de le faire partager.

Pour restituer les grands axes du château, l’allée principale est élargie et plantée de camélias, lauriers… Nous avons retracé l’allée avec les voliges, et retravaillé la perspective. Ce projet sera terminé quand nous aurons restauré le portaild’entrée, les grilles et les balustrades de la cour d’honneur. Ensuite la grande perspective sur la face sud du château. Un traitement simple : après le grand parterre et les allées de tilleuls, marquer les allées avec des voliges. Refaire la margelle du bassin et planter quelques ifs pour marquer la géométrie.

Rhododendrons derrière le jardin bas - jardin du Chateau du Grand Daubeuf
Rhododendrons derrière le jardin bas©Snezana Gerbault
Tulipier de Virginie  - jardin du Chateau du Grand Daubeuf

Enfin, le jardin bas qui est aménagé d’un mélange de viburnum, hydrangea, cornouillers. Il faut refaire les murs des balustrades. La perspective embrasse trois niveaux de verts : le vert tondu, la prairie et le champ. Le bois de rhododendrons a été taillé de l’intérieur, sans toucher la canopée ; c’est une vraie promenade.

Le potager : un projet mené tambour battant. Les propriétaires souhaitaient démarrer le projet de rénovation du Domaine par un élément fédérateur : les saveurs. Rendre à Daubeuf un jardin classique. Nous avions beaucoup d’informations de Mr Lainé, l’ancien jardinier en chef,  et quelques archives, notamment sur les légumes envoyés à la marquise de Pomereu à Paris. Jérémie Delecourt et Guillaume Baschet Sueur dessinent un jardin potager à la française ancré dans l’histoire et orienté vers les nouvelles pratiques de permaculture.

Travaux en mars 2016 - jardin du Chateau du Grand Daubeuf
Travaux en mars 2016 ©GBS
Les carrés en avril 2016  - jardin du Chateau du Grand Daubeuf
Les carrés en avril 2016 ©Sébastien Frère

Fin 2015-2016, travaux de préparation des réseaux et drainage. Nous avons pu faire les plantations au printemps 2016, planter les charmilles pour donner la structure du potager et les premiers carrés. A l’automne 2016 les voliges, au printemps 2017 nous avons semé le gazon.

L’espace combine une géométrie rigoureuse et la souplesse de l’évolution de chaque massif. Il est composé de trois carrés/rectangles entourés de charmilles, de 96 massifs où cohabitent arbres fruitiers, arbustes à baies, légumes et fleurs et de 24 tuteurs-totems dans une composition symétrique autour du bassin. Cinq outils sont utilisées conjointement pour éviter tout recours aux traitements phytosanitaires et aux pesticides :La diversitédes végétaux, la multiplication des strates, l’association de plantes compagnonnes, le paillage systématique et le recours aux insectes auxiliaires.

Narcisses Thalia et tulipes perroquet, Avril 2017 - jardin du Chateau du Grand Daubeuf
Narcisses Thalia et tulipes perroquet, Avril 2017 ©GBS

Complété par le potager des Grands Légumes, mis en culture au printemps 2017, en semis sous couvert – utilisation d’engrais verts tels que la moutarde, la féverole, la phacélie ou le chanvre textile –  et sans labour, les parcelles sont actuellement en processus d’éco-certification avec l’objectif d’une production bio à partir de 2020. Un jardin de graminées a été planté de l’autre côté de l’allée de la serre, bordée d’une centaine de pommiers et poiriers en cordons, d’une soixantaine de variétés différentes, dont certaines plantées en 1890 au Grand Daubeuf. Pierre Caillet, le chef du restaurant étoilé ‘Le Bec au Cauchois’, vient chercher mini-navets, fleurs de courgettes, hémérocalles et roses trémières, qui agrémentent ses plats. En juin 2017 le potager intègre le réseau des 76 jardins nourriciers de l’Association des Jardins Potagers et Fruitiers de France. Et des paniers potagers sont proposés.

Des liens sont créés avec la communauté : Les plantations des charmilles du potager et des haies mixtes de l’allée principale ont été intégralement réalisées par les chantiers d’insertion des Brigades Vertes de l’ancien canton de Valmont, devenus depuis lors les ‘ambassadeurs’ du jardin auprès du public, en raison de leur fort investissement dans le projet. Une classe de BTS du Centre de Formation d’Apprentis de Haute-Normandie, Naturapôle/Hortithèque, travaille sur la conception et la réalisation d’un aménagement paysager (mare des houx et noue à l’ouest de la propriété). Deux apprentis d’Hortithèque ont été embauchés en Juillet 2017.

Engazonement en avril 2017 - jardin du Chateau du Grand Daubeuf
Engazonement en avril 2017 ©Dronedeclic.com

Une convention a été signée avec le Groupe Hospitalier du Havre et sa délégation de l’hôpital de jour en psychiatrie de Fécamp pour l’accueil au potager, une fois par semaine et pour une durée expérimentale d’un an, de 6 à 7 patients adultes. Au-delà de la pratique d’une activité physique, cet atelier thérapeutique a pour objectifs la socialisation, l’autonomie, la verbalisation et la valorisation de soi. Il est encadré par le personnel médical et les jardiniers. Les enfants du Logis Saint-François de Thiétreville bénéficient également d’ateliers.

Ces diverses activités sont intégrées dans le cadre de l’Association pour le Développement Partagé du Potager et du Parc du Grand Daubeuf, association sans but lucratif créée en 2017. Cette structure, qui inclut la Communauté d’Agglomération Fécamp Caux Littoral et la Communauté de communes Campagne de Caux parmi ses membres d’honneur, a pour objet de faire bénéficier la communauté locale, et en particulier les publics fragilisés, des activités du Domaine.

Pierres en Lumières - jardin du Chateau du Grand Daubeuf

Le potagera ouvert ses portes au public le 19 mai 2017 avec une illumination nocturne (par Romain Boulay) dans le cadre de l’événement ‘Pierres en Lumières’. Il a accueilli 3.200 visiteurs dès la saison 2017. L’art contemporain a été mis à l’honneur : Le Domaine du Grand Daubeuf a participé à l’opération Voisins de campagne du SHED/ Centre d’art contemporain de Normandie, à travers  l’œuvre originale de l’artiste hollandais Krijn de Koning, installée dans le jardin bas.

Oeuvre éphémère de Krijn de Koning - jardin du Chateau du Grand Daubeuf

Les Cauchois découvrent avec curiosité et émotion les premières restaurations et s’intéressent aux projets à venir : écuries (couverture restaurée fin 2017), maison du fermier, château (objectif de complète réhabilitation en 2022).

Lors des Journées européennes du Patrimoine 2017, les amis du vieux Fécamp et du Pays de Caux ont recueilli des témoignages précieux permettant de reconstituer l’histoire du domaine et de présenter aux visiteurs une exposition photographique « Le domaine du Grand Daubeuf dans les coulisses ».

La découverte du site est pédagogique, insiste Guillaume Baschet Sueur : partager avec les visiteurs les résultats des trois premières années de chantier, montrer l’immense chemin qu’il nous reste à parcourir, apprendre à (re)construire en partenariat ce que nous ne saurions restaurer seuls, expliquer pourquoi et comment chaque chantier est un laboratoire qui nous fait progresser. L’équipe de jardiniers, Sébastien, Ludovic, Ghislain, deux apprentis Léo et Randy, représente l’équivalent de 3,7 postes à plein temps.

Le Grand Daubeuf du XXIème siècle, dans un contexte économique qui a changé, doit générer de nouveaux revenus.

Un pôle événementiel, composé des grandes écuries, d’une salle de formation dans la grange, de la maison du fermier, de gîtes de standing dans les communset d’un parking de grande capacité, permettra en 2019-2020 la réalisation de séminaires, conférences et mariages.

Le pôle parcs et jardins comprendra le potager, l’aménagement prévu de la pièce d’eau du grand parc, au tracé régulier de 140m x 100m probablement dessinée par Eugène Bühler lors de la conception du jardin bas en 1870 et jamais mise en eau, un jardin japonais sur les contreforts de la butte dominant le potager, et finalement la recomposition du jardin bas après la restauration des balustrades.

Panorama depuis le belvédère  - jardin du Chateau du Grand Daubeuf
Panorama depuis le belvédère ©GBS
La famille Delecourt - jardin du Chateau du Grand Daubeuf

La renaissance du Domaine du Grand Daubeuf : un projet partagé, fou, ambitieux et passionnant, mené par des propriétaires jeunes, entourés d’une équipe de passionnés, largement ouvert sur le territoire, faisant le lien entre les richesses d’un patrimoine et les techniques du XXIème siècle.

Quelques mots d’histoire : Le château de Daubeuf est attribué à l’architecte François Mansart (1629). Le paysagiste Eugène Bühler crée en 1870 la pièce d’eau et le jardin bas. Les Grandes Ecuries au hall éclairé d’une verrière et aux amples ailes en hémicycle sont l’œuvre d’Alexandre Pinchon et d’E. Boulanger (1885). Inscription MH partiellement en 1994 puis classement MH en 1997.

Chateau du Grand Daubeuf en 2004

Propriété de la famille Pomereu d’Aligre depuis quatre siècles, le Domaine a atteint son apogée en 1851 avec 95 parcelles cadastrales totalisant une superficie de 884 ha, sur les communes de Daubeuf, Contremoulins, Bec-de-Mortagne et Limpiville. Au début des années 60, le Domaine emploie une cinquantaine de salariés : jardin, parc et forêts, cressonnière, exploitation betteravière, vergers et station de pompage d’eau pour la communauté locale. A la fin du siècle, le Domaine entame son déclin. Le 21 mai 2013, l’ancien jardinier en chef, M. Camille Lainé, referme une dernière fois les portes du château avant la mise aux enchères de son mobilier.

Sabine de Montfort et Guillaume Baschet-Sueur

Le Domaine du Grand Daubeuf est à 14km au N-Ede Fécamp, au lieu-dit Le Château, 76110 Daubeuf-Serville. Il est ouvert au public. Nombreux renseignements sur la page dédiée aux Jardins du domaine du Grand Daubeuf.