Le jardin de Claude Monet à Giverny

Entretien avec James Priest, jardinier en chef

Plan du jardin de Monet
Plan du jardin de Monet

Il y a eu très peu de jardiniers en charge de la propriété de Claude Monet à Giverny : après le peintre lui-même, mort en 1926 à l’âge de 86 ans, la propriété a été conservée par son fils Michel, qui l’a donnée à l’Académie des Beaux-Arts en 1966. Ce n’est que dix ans plus tard que le jardin est véritablement restauré. Il a évolué progressivement sous la direction de son jardinier en chef, Gilbert Varié, de 1976 à 2011, année où James Priest a pris la suite.

A travers les recherches des responsables successifs de ce jardin, on retrouve les questions qui se posent à toute personne désireuse de maintenir le souvenir du créateur d’une œuvre d’art aussi changeante que l’est un jardin, dont la forme évolue avec les saisons et les années. Comment rester fidèle à l’esprit de Monet ? C’est d’autant plus difficile que le peintre, comme tout jardinier, aimait expérimenter de nouvelles plantes, et les installer en masse si elles lui plaisaient.

Le premier jardin créé par Monet, à partir de 1883, le clos normand, présente une pente orientée au sud, de la maison vers la route et la voie ferrée qui traversaient le village. Il était d’un aspect extrêmement régulier, formé par des plates-bandes de fleurs entourées de bordures végétales. Vu de la maison, ce jardin ressemblait par sa forme à une boite de peinture, chaque bloc de couleur étant occupé par une fleur dominante. Les couleurs foncées primaient aux abords de la maison, les couleurs claires en bas du jardin.

Dans ses résidences précédentes, comme à Vétheuil, Monet aimait avoir des réserves de fleurs à couper pour composer des bouquets qu’il pouvait peindre. Par contre, une fois installé à Giverny, il a cessé de peindre des bouquets et c’est le jardin lui-même qui lui servait de modèle, d’abord pour des vues générales, jusqu’à ce qu’il se concentre sur le bassin des nymphéas, et enfin les nymphéas eux-mêmes.

Monet ne pratiquait pas la mosaïculture à l’échelle de son jardin, comme c’était fréquent  à l’époque : loin de se contenter d’aligner en rangs serrés les fleurs dans chaque bloc, il disposait quelques touches de couleurs variées permettant de faire vibrer sa palette végétale, comme il le faisait dans ses tableaux de fleurs. Marcel Proust a écrit en 1907 :

« Si je puis voir un jour le jardin de Claude Monet, je sens bien que j’y verrai, dans un jardin de tons et de couleurs plus encore que de fleurs, un jardin qui doit être moins l’ancien jardin fleuriste qu’un jardin coloriste, si l’on peut dire, des fleurs disposées en un ensemble qui n’est pas tout à fait celui de la nature, puisqu’elles ont été semées de façon que ne fleurissent en même temps que celles dont les nuances s’assortissent, s’harmonisent  à l’infini en une étendue bleue ou rosée, et que cette attention de peintre puissamment manifestée a dématérialisées, en quelque sorte, de tout ce qui n’est pas la couleur. »

Claude Monet n’a pourtant pas créé de véritables « mixed-borders », comme Gertrude Jekyll les a conçues en Angleterre à la fin de 19ème siècle, ce qui a progressivement influencé les jardins français en apportant du souffle, du volume et de la variété aux parterres de nos parcs et jardins en France.

Dès lors, une façon d’être fidèle à l’esprit de Monet a pu être, au cours des dernières décennies, de faire évoluer son jardin en introduisant progressivement des fleurs qu’il aurait pu choisir s’il vivait encore. Et en optant pour un style de plus en plus libre, qui rencontre d’ailleurs beaucoup de succès auprès du public. L’optique de James Priest est plutôt d’essayer de retrouver l’ambiance du jardin de Monet tel que celui-ci l’avait conçu. En vivant avec les tableaux qu’il a peints, en regardant les catalogues de graines que Monet avait dans sa bibliothèque, en se fondant sur les observations faites par les visiteurs de l’époque, James Priest tente de se rapprocher de ce qu’avait voulu évoquer le peintre.

Allée à dominante jaune - jardin de Claude Monet
Allée à dominante jaune

Celui-ci avait composé son jardin comme un tableau, et son jardin lui a par ailleurs constamment servi de modèle pour ses peintures; James Priest, à l’inverse, utilise les peintures de Claude Monet comme modèle pour retrouver son jardin. Cela l’amène à réduire progressivement le nombre de fleurs dans chaque parterre afin de mettre en valeur une couleur dominante, avec des nuances et avec quelques touches différentes. Il a supprimé les grands bouquets de rudbeckias qui étaient très présents, alors qu’ils ne figurent pas dans l’œuvre du peintre.

Cela ne l’empêche pas d’utiliser des plantes que Monet ne connaissait pas : ainsi l’allée qui est proche de la route est bordée d’Aegopodium panaché, une plante non commercialisée au début du 20ème siècle, mais qui est bien utile pour créer une bordure claire au bord d’une allée peu éclairée.

Bordures d'Aegopodium - Jardin Claud Monet
Bordures d’Aegopodium

En revanche, tous les rosiers étaient connus du temps de Monet, et beaucoup ne sont pas remontants. Ils ne sont pas traités en saison, mais reçoivent seulement deux pulvérisations de bouillie bordelaise, au débourrement et à la chute des feuilles.

Quatre longues bordures d’allées sont composées de fleurs dont les couleurs évoquent  les différents moments de la journée, du rose matinal, puis au jaune, à l’orange et pour finir le rouge du soir.

Allée d'entrée du jardin de Monet
Allée d’entrée de Monet

En ce qui concerne l’allée centrale, il est intéressant de constater combien son aspect a changé depuis l’installation de Monet à Giverny en 1883 et au cours des 43 ans où il y a vécu. Au départ, cette allée d’entrée était bordée d’épicéas et de cyprès en alternance. Monet voulait les abattre car ils faisaient trop d’ombres aux fleurs, mais Alice Hoshedé s’y opposait vivement, voulant par principe garder les arbres existants. Monet obtint l’accord de son épouse pour couper le haut des épicéas, ce qui ne leur fit pas le plus grand bien… Cela lui permit alors de couper leurs branches basses, les réduisant à l’état de poteaux sur lesquels il accrocha des rosiers grimpants et des clématites. Plus tard encore, ces troncs furent remplacés par les arches de la tonnelle dont la forme a été conservée de nos jours.

C’est en revenant d’un séjour à Bordhigera en 1884 que Monet déclare avoir trouvé ce qu’il voulait faire de son allée d’entrée. Ayant admiré en Italie une rivière d’un mètre de large, bordée de fleurs sur les côtés et de bougainvilliers accrochés aux arbres, il décide de transposer cette vision avec des moyens adaptés à son jardin normand : une rivière de graviers serpente entre des capucines oranges et des massifs de dahlias rouges sur les côtés, encadrés par des rosiers grimpant sur les résineux, puis sur les arches en métal.

Bassin des nymphéas - Jardin Claude Monet
Bassin des nymphéas

L’influence du Japon dans la conception du jardin de Monet est évidente non seulement par les célèbres ponts en croissant de lune et les nymphéas, mais aussi par le choix des fleurs, inspiré en partie par les estampes japonaises dont l’artiste avait une importante collection. Il écrivait ainsi le 8 février 1896 à Maurice Joyant :

« Je vous remercie d’avoir pensé à moi pour les fleurs d’Hokusaï. (…) j’ai déjà les iris, les chrysanthèmes, les pivoines et les volubilis ».

Entre le jardin de fleurs et le jardin d’eau que Monet a créé après les acquisitions de nouvelles parcelles de terrain, à partir de 1893, la route qui traverse Giverny est bien bruyante… mais que faire ? James Priest espère que dans quelques années les voitures seront électriques et ainsi plus discrètes…

Monet lui-même souffrait de la présence de la route, alors un simple chemin de terre, car les voitures de l’époque soulevaient des poussières qui se déposaient en particulier sur les feuilles de ses chers nymphéas. C’est pourquoi il a financé la pose de macadam sur une bonne partie de ce chemin. Il a même réussi à faire modifier le tracé de la voie ferrée, qui longeait autrefois la route et qui a été déplacée en 1901 au sud du jardin d’eau, sur une parcelle de terrain fournie par le peintre.

James Priest apporte peu de modifications au jardin d’eau, qui lui semble proche de l’atmosphère voulue par Monet. L’ouverture au public a conduit depuis longtemps à en interdire les berges, qui étaient autrefois recouvertes  de gazon ou de bordures d’iris d’eau. James Priest atténue certaines couleurs, en privilégiant le bleu et le mauve aux dépends du rouge et de l’orange.

Monet voulait bien sûr un maximum de lumière sur le bassin des nymphéas, et cela le conduisait à élaguer sérieusement les arbres de la rive : à part les saules pleureurs, très amples, beaucoup d’arbres voyaient nombre de leurs branches raccourcies à un mètre de long seulement… Parmi les arbres actuels, seuls le saule pleureur et le hêtre pourpre étaient en place en 1976. D’autres ont poussé, au point de devenir gênants, mais il est bien difficile d’obtenir l’accord pour abattre un arbre. Heureusement, dit James Priest en souriant, Monet y veille : il arrive que des tempêtes opportunes fassent le travail… Comme pour le cyprès chauve planté en 1976, tombé naturellement en 2013.

Arceaux d'un modèle ancien- Jardin Claude Monet
Arceaux d’un modèle ancien
Clôture construite par un jardinier japonais - Jardin Claude Monet
Clôture construite par un jardinier japonais

Les influences entre Monet et le Japon sont à double sens, puisqu’une réplique de son jardin a été réalisée à Kitagawa, dans l’ile qui est au sud d’Hiroshima. Le jardinier japonais de Kitagawa, lors d’un séjour à Giverny, a donné l’idée de remplacer les arceaux en bambou, qui servaient à empêcher les visiteurs de marcher en dehors des allées,  par des barrières en bambou de style beaucoup plus japonais : assemblages à angle droit et ficelle de riz noire.

Avant son arrivée à Giverny en 2011, James Priest, un Anglais formé à l’école de Kew Garden en 1982-85, a longtemps travaillé pour Elie de Rothschild à Royaumont, pour Michel et Hélène David-Weil, ainsi que pour Bernard Arnault. Il s’attache avec passion à un jardin de 1,8 hectares seulement, mais oh combien dense en fleurs et en histoire…

Le jardin de Monet est admiré par 600.000 visiteurs chaque année. Huit jardiniers y travaillent à l’année, ainsi que des stagiaires pendant l’été. Le site www.fondation-monet.com donne accès à de très nombreuses photos et informations sur ce jardin phare de notre Région, ouvert tous les jours, du 1er avril au 1er novembre.

 James Priest - Jardin Claude Monet

Texte et photos : Benoît de Font-Réaulx
Date de publication : 2015

Merci à Sylvie Patin, Conservateur général au Musée d’Orsay et spécialiste de Monet, pour ses précisions historiques et les citations

De nombreux renseignements dans la page dédiée au jardin de Claude Monet.